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ADRIEN BONNEAU

Au nom des miens…

Entre héritage familial, quête personnelle et exigence professionnelle, voici l’histoire d’un homme debout, qui avance vers ses rêves, sans jamais oublier d’où il vient…

« Je suis né au sein d’une structure équestre, en étant tout de suite baigné dans les chevaux. Mais j’ai passé une enfance un peu dans les traces de ma grande sœur, qui a fait beaucoup de très haut niveau à poney, jusqu’aux Championnats d’Europe. Mes parents ont été très complémentaires dans ma formation initiale : mon père m’a apporté un côté plus instinctif, moi qui suis plutôt cérébral, alors que ma maman m’a très vite sensibilisé à l’importance des soins, à cette notion d’amour-respect. Cela m’a donné une espèce de responsabilité dans mon rapport avec les chevaux.

Mais vivre des chevaux n’avait jamais été mon projet de vie, et mes parents m’ont donc encouragé à faire des études : j’ai essayé de répondre à cette attente. Mais l’année de mon bac, j’ai perdu ma maman, emportée par un cancer après cinq années de lutte. J’avais 17 ans, l’âge où l’on se cherche, où l’on commence à construire son avenir. Bien sûr ce n’est jamais le bon moment pour affronter ce genre d’épreuve, mais à cet âge-là, c’est encore plus déstabilisant. J’ai tout de même intégré une classe préparatoire en physique-chimie, qui m’a beaucoup appris, mais au bout d’un moment, j’ai senti un vide immense et j’ai fini par abandonner. J’ai enchaîné quelques petits boulots, je me suis acheté une moto… jusqu’au jour de ce grave accident. Même s’il a eu peu de conséquences physiques, il a marqué un tournant. J’ai compris que j’avais un besoin constant d’adrénaline, que le sport me manquait terriblement, et je suis reparti travailler chez mon père. Très vite, j’ai pris le rôle de moniteur : j’encadrais les jeunes, je les accompagnais en concours, mais je ressentais le besoin de faire autre chose, avec cette envie affirmée de sport de haut niveau. Mon père était très investi dans sa structure, mais l’écurie n’était pas adaptée, et la transformer aurait nécessité de lourds investissements. Alors, on a pris la décision de suivre des chemins différents. C’était pour moi l’occasion de me lancer seul, de prendre mon envol.

J’AI SOUVENT DOUTÉ DE MA LÉGITIMITÉ

« Je sentais que, pour gagner la reconnaissance de mon père, je devais prouver que j’étais capable de réussir seul. Alors je suis reparti de zéro, sans clients, ni réelle expérience en concours pour en attirer. Mon premier cheval de valorisation était un trotteur qui peinait à galoper. J’ai loué des boxes à Montigny-sur-Loing, près de Fontainebleau, chez une femme passionnée de dressage ibérique, élève du maître Nuno Oliveira. J’ai commencé avec quelques jeunes chevaux, puis j’ai élargi mon activité en m’installant chez monsieur Paul Couffy. Pendant plus de sept ans, j’ai développé ma clientèle et valorisé des chevaux dès leurs deux ans. Je me suis investi à fond, en cherchant un équilibre entre les besoins économiques et le sport. Je montais jusqu’en Pro 3, parfois Pro 2, avec un niveau modeste, mais une exigence constante. Pour moi, la manière comptait plus que le résultat, et je voulais être prêt le jour où une vraie opportunité se présenterait.

J’ai fini par comprendre qu’il fallait aller plus loin dans le coaching, alors j’ai décidé de frapper à la porte de mon oncle, Jean-Maurice. Mais ce n’est pas parce qu’on est de la même famille que c’est plus facile ! Bien sûr Il savait que j’étais dans le métier, et je crois qu’il attendait que je fasse le premier pas. De mon côté, je doutais de ma légitimité : c’était tout de même l’un des meilleurs coachs français, voire mondiaux. Il m’a pourtant accueilli à bras ouverts, fidèle à sa nature généreuse. J’ai 38 ans aujourd’hui, c’était il y a neuf ans, l’année des Jeux de Rio. Malgré un emploi du temps chargé, il a pris le temps de me faire travailler, de reprendre les bases, souvent lors de stages en Vendée, où je venais avec quelques chevaux. Mais pour ce qui était des concours, ses terrains de jeux n’étaient pas les miens ! Et même si j’ai quand même eu la chance de le croiser sur les épreuves jeunes chevaux, c’est pour mes premiers CSI2*, comme à Rouen ou à St Tropez, que j’aurais tellement aimé l’avoir à mes côtés. Jean-Maurice est à chaque fois très présent dans mon esprit, et mes victoires importantes sont toujours chargées d’une émotion particulière.

Quant à Philippe, il a toujours été un cavalier que j’admirais profondément, même si je ne le connaissais pas personnellement. À cette époque, pour Jean-Maurice, le quotidien tournait autour de Philippe et de l’aventure olympique de Rio. Une aventure que j’ai suivie de très près, bien que de l’extérieur, à travers lui. C’était incroyablement inspirant pour moi. Alors, lorsque j’ai enfin rencontré Philippe de manière plus personnelle, j’en savais déjà beaucoup plus sur lui que la plupart des gens. Quand j’ai commencé à obtenir de bons résultats avec mes jeunes chevaux, j’ai demandé à Jean-Maurice un accompagnement plus soutenu. Mais après Rio, son emploi du temps était de nouveau très chargé. Il m’a alors proposé de travailler avec Thierry (Rozier). C’est ainsi que, pour la première fois, je me suis rendu au haras des Grands Champs avec mes jeunes chevaux, dont une toute petite jument de six ans, une fille de Contendro. Nous avons travaillé ensemble jusqu’à la fin de la saison, et Jean-Maurice m’a suivi jusque lors de la finale. Avec cette jument d’1m54, j’ai terminé 7e du Championnat des 6 ans. Seuls quatre points lors de la première manche m’ont coûté le titre. C’était l’aboutissement d’un vrai partenariat avec une éleveuse qui m’avait confié plusieurs jeunes chevaux, dont cette jument que j’avais entièrement formée. Je revois encore mon père, les larmes aux yeux après mon dernier sans-faute.

CHAQUE JOUR JE MESURE LA CHANCE QUI EST LA MIENNE…

« Après cette finale, Thierry a quitté le haras et notre collaboration s’est arrêtée. À ce moment-là, j’étais installé chez un propriétaire qui possédait une grande structure et me confiait de nombreux chevaux. Mais il envisageait de vendre. Je ne souhaitais pas subir un éventuel départ, et j’ai préféré anticiper, me disant que si une opportunité se présentait, je devais être prêt à la saisir. J’en ai parlé à Jean-Maurice qui m’a simplement dit : « Appelle Marcel, fonce, ose ! ». Je l’ai écouté. Dès notre première rencontre, le courant est passé. Moi qui admirais tant Philippe, et mon père qui avait toujours eu une immense admiration pour Marcel… Il y avait quelque chose de naturel, presque une évidence. Tout s’est décidé très vite. On s’est mis d’accord sur les conditions, simplement, sans détour. En une demi-heure, Marcel m’a posé les bases : tu entretiens ce que tu utilises ! J’ai alors loué les 14 boxes le long du manège, sachant que c’était un vrai défi car il fallait repenser tout mon équilibre financier. Je suis passé brutalement d’une vingtaine de chevaux à six, mais aujourd’hui, après trois ans, mes écuries sont à nouveau pleines…

Finalement, c’est là que s’est produite la véritable rencontre avec Philippe. Même si j’étais officiellement chez Marcel, j’avais en quelque sorte un pied chez lui. On se croisait sur la carrière, et il a vite remarqué que mon cœur de métier, c’était les jeunes chevaux. Peu après les ventes Fences, où il venait tout juste de faire acheter un cheval pour des clients, il m’a proposé de le prendre au travail. La démarche m’a touché, j’avais le sentiment qu’il reconnaissait mon sérieux, et croyait en mon potentiel. Depuis ce jour, c’est ce que je m’efforce de construire dans notre relation : une reconnaissance fondée uniquement sur le travail, sans passe-droit. Mon objectif a toujours été clair : faire le job du mieux possible, prouver que chaque matin, quand il ouvre la porte de chez lui, je suis déjà là. Pas pour faire bonne figure, mais parce que c’est ma philosophie. Au fond de moi, j’avais une faim immense. L’envie de travailler avec ces gens-là, de saisir chaque opportunité sans rien laisser filer. Là-bas, il y a autant de chances à saisir qu’il y a de champions. Alors, quand un jour, par un heureux concours de circonstances, Philippe m’a demandé si je pouvais accueillir quelques jeunes chevaux de Monsieur Baillet, l’émotion a été immense. C’était au-delà de ce que j’aurais pu espérer. J’avais l’impression d’entrer pleinement dans la « famille cheval » de Philippe. Tous ces jeunes chevaux d’exception, qui me semblaient encore inaccessibles peu de temps auparavant, devenaient désormais une réalité. Et s’il y a bien quelque chose que j’admire chez Philippe, c’est la qualité exceptionnelle de son écurie. Il ne se contente pas de monter de bons chevaux : ils sont magnifiques, modernes, dans le sang, avec une vraie personnalité. Les chevaux de Philippe Rozier, on les reconnaît de loin, et à chaque remise des prix, ce sont toujours les plus beaux.

Quant à Marcel, il est là, chaque matin. Il passe à vélo devant mes boxes, me salue toujours chaleureusement, on échange quelques mots sur la météo, sur le quotidien. Et quand j’ai un doute ou une difficulté avec un cheval, il est capable, d’un regard, de me dire si c’est juste ou non. C’est de la bienveillance à l’état pur. Au Haras des Grands Champs, nous évoluons dans un environnement hors norme, entourés de cracks, de victoires, de médailles. Et dans ce contexte, on sait qu’en cas de problème, il y aura toujours une clef, une solution. C’est peut-être un privilège, mais c’est surtout quelque chose d’absolument unique. Choisir de m’installer ici a été une vraie prise de risque, et pourtant, depuis le premier jour, il y a bientôt trois ans, pas une seule fois je n’ai douté d’avoir fait le bon choix. Je suis exactement là où je dois être. Je mesure la chance qui est la mienne, et je m’efforce de m’en souvenir chaque jour. Parce que le Haras des Grands Champs, c’est un site chargé d’histoire, un lieu à part, tellement inspirant ! Parlez-en à n’importe qui dans le monde équestre : tout le monde connaît. Ce n’est pas une simple écurie, L’Espace Rozier, c’est un véritable label !

J’ai des rêves immenses, que je garde souvent pour moi. Même pour mes proches, ce n’est pas toujours simple à entendre, parce que rêver grand, c’est aussi accepter de grands sacrifices. J’ai une vie de famille, une femme, deux enfants… Et chaque fois que je suis ici, je ne suis pas avec eux. Toutes mes décisions sportives sont guidées par ces rêves, qui sont en réalité devenus des objectifs : devenir champion olympique, champion du monde, numéro un mondial. Vivre pleinement le sport de haut niveau. C’est ce à quoi j’ai été nourri, à travers Jean-Maurice, à travers ma famille, et c’est aujourd’hui encore mon moteur, chaque matin, dès que je me lève. Oui, je vis le sport pour ça ! »

Interview Thomas Millot – Photos Collection Privée et PSV Photos.